Avenue des géants [Marc Dugain]

L'auteur : Né en mai 1957, Marc Dugain est un réalisateur et romancier français, après avoir travaillé dans la finance et été entrepreneur.

L'histoire : Al Kenner serait un adolescent ordinaire s'il ne mesurait pas près de 2,20 mètres et si son QI n'était pas supérieur à celui d'Einstein. Sa vie bascule par hasard le jour de l'assassinat de John Fitzgerald Kennedy. Plus jamais il ne sera le même. Désormais, il entre en lutte contre ses mauvaises pensées. Observateur intransigeant d'une époque qui lui échappe, il mène seul un combat désespéré contre le mal qui l'habite. Inspiré d'un personnage réel, Avenue des Géants, récit du cheminement intérieur d'un tueur hors du commun, est aussi un hymne à la route, aux grands espaces, aux mouvements hippies, dans cette société américaine des années 60 en plein bouleversement, où le pacifisme s'illusionne dans les décombres de la guerre du Vietnam.

Mon avis : Al est un prisonnier qui n’a aucun espoir de pouvoir sortir un jour. D’ailleurs, il n’en a pas envie. Seule Susan le visite, lui apportant des livres afin qu’Al prête sa voix pour des livres audio. De la lecture à l’écriture, Al en vient à coucher son histoire sur le papier. Tout commence le jour de l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, où ils tuent ses grands-parents d’une balle dans le dos. Après une petite balade, il se rend à la police. Après un passage en hôpital psychiatrique, il est relâché.

Marc Dugain s’attache à décrire la figure du mal. Il décortique ici l’âme humaine et ses tourments qui poussent certains à des comportements insensés. Cherchez la femme dit-on. C’est le cas ici et elle est vite trouvée. Maman ne l’a jamais aimé. Un peu facile peut-être pour expliquer le comportement d’Al Kenner. Ajoutons-y la guerre du Vietnam, où le meurtre a été légalisé puisque pour la bonne cause, et les hippies qui souhaitaient déconstruire la société et proposer un autre modèle. Et puis, un physique totalement hors normes qui ne permet pas à un adolescent de s’apprivoiser et s’accepter. Et aussi un QI plus développé que celui d’Einstein, qui lui permet d’analyser les raisons de ces actes et de décortiquer lui-même son comportement. Ça fait beaucoup. Soit. Mais en attendant cet homme reste un monstre et l’idée de l’expliquer, même si cela ne veut pas dire justifier, me gêne. Pour autant, j’entends bien aussi qu’il est trop confortable de se contenter d’écarter les grands criminels de l’Histoire d’un simple « ce sont des fous ».

Du coup, ma lecture a été inconfortable justement, partagée que j'étais entre ce sentiment de dégoût et la construction narrative habile de Marc Dugain qui m'entraînait, suggérant bien plus que ne montrant, m'immergeant dans la pensée d’un insensé qui rationnalise. Car doté d’une froide intelligence, Al Kenner est tout à fait capable d’expliquer comment il en arrive à réaliser l’inimaginable. Il démonte lui-même avec des termes de psychiatrie les fondements de ses actes. En sur-analysant, l’auteur créé une distance chez le lecteur et évite l’écueil de tomber dans la fascination. Les liens entre les différents membres de la cellule familiale sont analysés, de la mère castratrice, alcoolique et toxique pour tous ceux qui l’entoure, au père qui abandonne son fils, à l’enquêteur devenant père de substitution. L’Amérique des années 70 se cherche, entre mouvement hippies et guerre de Vietnam. Et Al Kenner se débat et cherche aussi son chemin.

À la sortie de cette lecture, des questions restent en suspens. Qu’a voulu faire l’auteur ? Et quid du parallèle entre lui et le personnage de Duigan (anagramme tellement évident) qui s’acharne jusqu’à épuisement à insérer ce jeune homme dans une société pour laquelle il n’est manifestement pas fait ? Marc Dugain s’est fortement inspiré du personnage réel d’Edmund Kemper pour écrire ce roman. Faut-il y voir un indice de quelque chose ? Une lecture dérangeante donc, qui pose beaucoup de questions et ne se suffit pas en elle-même.

Avenue des géants, de Marc Dugain
Gallimard
Novembre 2013

Commentaires

Nelfe a dit…
De mon côté j'ai vraiment apprécié cette lecture qui était pour moi une première avec cet auteur.
Alex Mot-à-Mots a dit…
J'avais bien aimé le point de vue adopté par l'auteur.
Loesha a dit…
Comme dans les commentaires précédents, j'avais beaucoup aimé cette lecture. Comme quoi, il ne laisse pas indifférent :)
La chèvre grise a dit…
@ Nelfe : une première pour moi aussi, mais je n'ai pas été complètement convaincue.

@ Alex Mot-à-Mots : le point de vue ne me dérange pas vraiment, juste que je ne comprends pas ce qu'il essaie de faire passer.

@ Loesha : en regardant un peu ailleurs, j'ai vu effectivement que les avis étaient plutôt positifs.

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