Dans la forêt [Jean Hegland]

L'auteur : Née en 1956 à Pullman aux États-Unis, Jean Hegland a fait pas mal de petits boulots avant de se lancer dans l'enseignement et dans l'écriture. Dans la forêt était son premier roman, paru en 1996 mais pas encore traduit en France.

L'histoire : Rien n'est plus comme avant : le monde tel qu'on le connaît semble avoir vacillé, plus d'électricité ni d'essence, les trains et les avions ne circulent plus. Des rumeurs courent, les gens fuient. Nell et Eva, dix-sept et dix-huit ans, vivent depuis toujours dans leur maison familiale, au cœur de la forêt. Quand la civilisation s'effondre et que leurs parents disparaissent, elles demeurent seules, bien décidées à survivre. Il leur reste, toujours vivantes, leurs passions de la danse et de la lecture, mais face à l'inconnu, il va falloir apprendre à grandir autrement, à se battre et à faire confiance à la forêt qui les entoure, emplie d'inépuisables richesses.

Mon avis : Je l’avais pas mal vu circuler sur les blogs, mais l’étiquette Nature writing m’avait rebutée. Il aura fallu qu’on me le conseille chaudement de vive voix pour que je tente cette lecture. Et j’ai attendu pas mal de temps avant d’écrire ce billet car, à la lecture, je n’ai pu m’empêcher de penser à deux autres romans de post-apo, l’un bien plus ancien de 20 ans Arslan de M.J Engh, et l’autre plus récent mais qui m’avait fait une énorme impression La route de Cormac McCarthy. Et si Dans la forêt est indubitablement un excellent roman que je vous conseille, il n’a pas eu chez moi l’impact de ce dernier, qui m’avait totalement chamboulée.

On entre dans l’histoire par le biais du journal de Nell, la plus jeune des sœurs et c’est ainsi que nous allons suivre leur quotidien basculer petit à petit, leur monde changer du tout au tout. Comme elle, sa sœur Eva et leur père qui se rendent comptent que leur univers n’est plus fait de certitudes. Car si elles ont grandi dans cette maison en pleine forêt, si elles ont été habituées à vivre presque seules, la disparition de la civilisation telle que nous pouvons la connaître finit forcément par les impacter. Pour tenir le coup, chacune se raccroche à sa passion : la danse pour Eva, les études pour Nell.

L’auteur évite habillement tous les pièges : elle ne s’attarde pas à expliquer pourquoi la civilisation est tombée (elle aurait même pu ne pas l’évoquer du tout d’ailleurs), elle ne tend pas vers le gore. Son style est limpide pour tout ce qui est des descriptions de la nature et des sentiments de Nell, flirtant parfois avec le poétique. Le choix de la narration à la première personne permet de retranscrire tous les doutes et les émotions qui affleurent chez la narratrice, la tentation de l’égoïsme le plus total et le choix de la solidarité et du partage.

Dans ce cocon rassurant que ne peut qu'être une maison dans laquelle les sœurs ont toujours grandi, l’angoisse monte pourtant inexorablement, faite de petites choses dont elles apprennent progressivement à se passer, ces manques qui rythment leur quotidien jusqu’à ce qu’on ne voit plus qu'eux. À moins de trouver un refuge physique et spirituel dans cette forêt si proche. Mais comment vivre dans cette nature qu’elles n’ont en fait jamais apprivoisée ? Être à l’écoute l’une de l’autre sera le point de départ d’un retour à la nature primitive, dangereuse mais salvatrice. En apprendre sur soi, sur la nature humaine, mais aussi sur celle qui nous entoure. Peut-être la vie en devient-elle aussi plus savoureuse d’être durement méritée. En tout cas la lumière surgit ici dans la plus sombre des situations.

"Depuis quelques jours, je rêve de hot-dogs. Des hot-dogs - une saucisse fade sur un petit pain blanc, un ruban de moutarde jaune gribouillée dessus. Quand on mord dedans, il y a l'élasticité moelleuse du pain, le léger piquant de la moutarde, la toute petite résistance quand les dents percent la peau de la saucisse et s'enfoncent dans la viande lisse, et enfin le délicieux fondant du pain, de la moutarde et du porc." (p°72)

Dans la forêt, de Jean Hegland
Traduit par Josette Chicheportiche
Éditions Gallmeister
Janvier 2017

Commentaires

Alex Mot-à-Mots a dit…
Je redoutais comme toi le côté nature writting, mais finalement, quel livre !
La chèvre grise a dit…
@ Alex Mot-à-mots : effectivement, une très bonne surprise.
Personnellement, j'ai bien aimé mais pas plus que cela non plus. Plus j'y réfléchis, plus je le trouve un tantinet naïf dans la relation de l'homme à la nature.

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