Pereira prétend [Pierre-Henry Gomont]

Après ma découverte de l'auteur Pierre-Henry Gomont avec son dernier album La fuite du cerveau, j'ai jeté un coup d’œil à la bibliothèque pour voir si je pouvais trouver d'autres de ses œuvres. C'est ainsi que j'ai lu ce Pereira prétend.

L'histoire : Lisbonne, Portugal, en pleine dictature salazariste, fin juillet 1938. Dans une ville enveloppée d’un « suaire de chaleur », un journaliste vieillissant, le doutor Pereira, veuf, obèse, cardiaque et tourmenté, rédige chaque jour depuis plus de trente ans la page culturelle du quotidien très conservateur, le Lisboa. Dans cette vie endormie, déboule un certain Francesco Monteiro Rossi… et, de façon tout à fait inattendue, Pereira l’engage. Mais le jeune pigiste, au lieu d’écrire les sages nécrologies que Pereira lui a commandées, lui remet des éloges aussi sulfureux qu’impubliables de Lorca et autres Maïakovski, ennemis avérés du régime fasciste.

Mon avis : Le soleil est de plomb sur Lisbonne dans les années 30. Il endort les corps et les consciences. Pereira est lui-même endormi depuis longtemps, depuis la mort de sa femme sûrement. Il entretient sa mémoire en parlant régulièrement à la photographie d’elle qu’il garde précieusement. Il s’accroche au passé, refuse le futur et donc ne s’intéresse guère au présent. Pas à la politique en tout cas, ni celle du Portugal, ni celle des pays européens où on voit monter les nationalismes un peu partout (l’Allemagne bascule du côté du nazisme, en Italie c’est Mussolini qui a pris le pouvoir et en Espagne Franco prend les rênes d’un coup d’État). La dictature que fait peser Salazar ne l’intéresse pas. Seule la littérature trouve grâce à ses yeux. Il dirige les pages culturelles d’un journal et traduit en feuilleton certains romans de grands romanciers européens. Jusqu’à ce qu’il tombe dans un journal sur un texte pseudo-philosophique sur la mort rédigé dans un style qui lui plaît. Il va donc contacter l’auteur pour lui proposer des piges nécrologiques.
J’avoue que ce n’était pas gagné car la léthargie qui paralyse Pereira était tellement bien rendue par cette adaptation du roman éponyme d’Antonio Tabucchi que je n’ai pas tout de suite été convaincue. Tout en douceur, progressivement, comme le protagoniste principal retrouve une conscience politique, le lecteur se laisse charmer. Pierre-Henry Gomont use de beaucoup de délicatesse pour dresser le portrait d’un homme veuf, obèse, sujet à l’introspection. Une introspection qui le mène à discuter avec d’autres de ses personnalités, représentées par des ombres. La rencontre avec Rossi, plein de fougue va le pousser à ouvrir les yeux. Sur lui-même dans un premier temps. Puis sur ce qui l’entoure. Il va devoir choisir son camp.

Cet album est celui du réveil d’une conscience. C’est beau - le dessin en aquarelle est splendide et rend les couleurs lisboètes à merveille - et juste. Un excellent album !

Pereira prétend, de Pierre-Henry Gomont
Éditions Sarbacane
Septembre 2016

Commentaires

Alex Mot-à-Mots a dit…
J'irai bien au Portugal, avec cet album.
La chèvre grise a dit…
@ Alex Mot-à-mots : j'irais bien au Portugal tout court :) Et dire que je commençais à regarder pour découvrir Lisbonne juste avant que la pandémie commence...

Posts les plus consultés de ce blog

La cité Abraxas

Thérapie [Sebastian Fitzek]

Musée du Quai Branly #4 : Amériques