G229 [Jean-Philippe Blondel]

L'auteur : Jean-Philippe Blondel, né en octobre 1964, est professeur d'anglais au lycée (salle G229) et écrivain, pour adolescents comme pour adultes.

L'histoire : "Je vous ai accordé une salle. Une salle, vous savez, ça n'a pas de prix. C'est la 229, bâtiment G. G229. Allez chercher la clé chez la concierge. Bon, je crois que cet entretien est terminé. Nous nous croiserons souvent désormais. Bienvenue ici."
Je remercie le proviseur, mais il ne m'écoute déjà plus. Un proviseur, ça a beaucoup de choses à penser. Un prof, non. Un prof, ça ne pense qu'à une chose, ses classes.
Puis soudain, il est de nouveau là, présent. Il me fixe. Il dit : "Le plus dur, dans le métier, vous savez, c'est de manier le on et le je." Je réponds que euh, je ne suis pas sûr de comprendre. "C'est une institution, l'école, Vous entrez dans un bulldozer. Il faut arriver à en devenir membre sans perdre son individualité. Ce n'est pas aussi facile qu'on le croit, vous verrez. Le on et le je. Réfléchissez-y. Bonne chance !"

Mon avis : Indubitablement, Jean-Philippe Blondel est passionné par son métier et les liens qu’il tisse avec ses collègues et ses élèves. Ce qui fait de ce livre un roman qui n’est pas vindicatif ou cynique et dont le propos n’est pas la remise en cause du système éducatif, même si un court passage croque ironiquement le jeu des réformes et des grèves.
Il aime ce monde, ces élèves qui le font pourtant tourner en bourrique, tous différents mais pourtant si semblables d’une année sur l’autre. Le temps passe, inexorable, les rétroprojecteurs deviennent des vidéoprojecteurs pour passer des présentations Powerpoint, la cassette audio est remplacée par le CD puis par le MP3, et c’est le professeur qui est figé dans le temps perpétuel des 17 ans.
Au final, il n’est pas si éloigné d’eux : il rêvasse lorsque ses élèves sont en interro, il regarde par la fenêtre, fait son cours en pilotage automatique, sans trop réfléchir à ce qu’il dit, ne reprend pas une séquence qui commence à l’énerver (ras le bol d’entendre Sunday Bloody Sunday) parce que ce serait trop fatiguant de tout refaire. Il se remet en question, prend du recul sur lui et sa façon d’enseigner (chose que ne faisait pas Begaudeau dans « Entre les murs » et qui m’avait profondément agacée).
L’attachement au lieu aussi : la salle bien sûr, qui donne son nom au roman, mais également le lycée lui-même, avec la salle des profs, la machine à café, le bureau du proviseur. On y entre ne pensant qu’y passer quelques semaines tout au plus et on se réveille 20 ans plus tard, toujours au même endroit.
Tout le roman se construit donc sur un jeu entre le « je » et le « on » : je, en tant qu’adulte et enseignant ; on, en tant qu’ensemble qui réfléchit sur un sujet, qui est embarqué pour un an dans la même aventure humaine ; je, avec des souvenirs d’instant précis, et on avec des souvenirs récurrents, tous les ans, les mêmes exercices, les mêmes voyages scolaires…
Ce qui m’a le plus touchée ici, c’est cette description du moment où l’élève comprend, où il perçoit ce que l’enseignant essaie de lui communiquer, de lui faire toucher du doigt, et où un réel échange se concrétise. C’est ce qui me manque peut être le plus dans ce métier que j’ai quitté : cette étincelle de compréhension entre deux consciences, fugitive, rare mais si intense. Pour le reste, il s’agit là d’un témoignage du vécu d’un professeur, écrit tout en douceur et tendresse, sans œillères mais avec un réel amour du métier, et il en faut pour continuer !

Commentaires

Mangolila a dit…
Je m'étais promise de ne plus rien lire sur l'institution scolaire tellement je suis déçue à chaque fois mais là, ton billet m'incite à me contredire et à aller voir ce que dit cet auteur sur le sujet.
keisha a dit…
Comme mango, je me méfie parfois de ce genre de livres, mais là, c'est du tout bon, concret, sensible, cohérent, on s'y retrouve bien. Même si je n'ai pas pu passer 20 ans dans la même salle , j'en ai quand même passé pas mal sans l'éduc nat (et je n'ai pas fini, semble-t'il...), alors ce récit est à lire, pour profs, parents, élèves et anciens élèves...
Irrégulière a dit…
Je crois que si je le lisais, j'aurais l'impression de faire des heures sup et... nan, merci ^^
La chèvre grise a dit…
@ Mango : oui, celui-ci n'est vraiment pas revendicatif. C'est très remarquable.

@ Keisha : tout à fait.

@ Irrégulière : rhooo tout de suite.
Leiloona a dit…
Allez, comme nous sommes bientôt en vacances, je lirai ce livre, histoire de ne pas trop me couper de mon boulot ! :D
Alex Mot-à-Mots a dit…
Un titre très présent en ce moment sur les blogs. A croire que tous les blogueurs travaillent dans l'EN.
La chèvre grise a dit…
@ Leiloona : je pense que ça peut même rendre la vocation si tu fléchis un peu.

@ Alex : hey oui, on dirait bien. Pour ma part, je ne le suis plus et n'en suis pas malheureuse.

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