Absolument dé-bor-dée ! [Zoé Shepard]

L’auteur : Aurélie Boullet, alias Zoé Shepard, née en octobre 1979, est administratrice territoriale au conseil régionale d’Aquitaine. Elle publie en 2010 Absolument dé-bor-dée, ou le paradoxe du fonctionnaire, s’attirant les foudres de sa hiérarchie.

L’histoire : Embauchée après huit années d’études supérieures dans une mairie de province, Zoé Shepard a vite déchanté.
Plongée dans un univers où incompétence rime avec flagornerie, ses journées sont rythmées par des réunions où aucune décision n’est jamais prise, des rapports qu’elle doit rédiger en dix jours (quand deux heures suffisent), des pots de bienvenue, de départ, d’anniversaire.
Sans oublier les séminaires « de formation », les heures à potiner à la cantine et à la machine à café, les chefs « débordés » par les jeux en ligne et les préoccupantes interrogations de tous sur les destinations de vacances et autres RTT…
Chargée de mission dans un service fourre-tout, truqueuse patentée de notes administratives, G.O pour délégations étrangères et hocheuse de tête en réunion, Zoé Shepard raconte avec un humour mordant ses tribulations de fonctionnaire désespérée dans un univers bien pire que tout ce que vous pouvez imaginer.

Mon avis : En tant qu’ancienne fonctionnaire (fonction publique d’État et non fonction territoriale comme c’est le cas ici), et actuellement salariée dans le privé, ce roman m’intéressait beaucoup.
Il faut, dès le départ être conscient des parti-pris de l’auteur et faire la part des choses : on pourrait se passer de surnoms cruels et totalement subjectifs comme « Coconne » ou « Simplet »…, tout est dans l’exagération, pour rendre les personnages plus parlants, plus forts ; des critiques faciles mais peu de remise en question d’elle-même et de son positionnement dans cette institution. L’auteur est toujours critique envers les autres, mais elle le reconnaît elle-même, elle a abusé elle aussi de la situation, incapable d’être à l’heure et rarement satisfaite.
Une fois ce travail fait, on peut pleinement apprécier la plume de l’auteur pour décrire des situations ubuesques, comme celle de la délégation chinoise ou de l’inspection générale du service. Et tout au long de ma lecture, je n’ai pu m’empêcher de comparer avec mes connaissances de la fonction publique et du privé : en fait, il n’y a aucune différence ! Vous trouverez dans chaque catégorie des gens qui travaillent plus que leur part, qui ont une conscience professionnelle, et d’autres qui ne sont là que pour faire acte de présence et avoir le salaire à la fin du mois. Quant au sujet des études nécessaires pour prétendre à de tel poste, il y a bien longtemps que je ne me fais plus d’illusion : les études ne vous préparent pas à la réalité, ne vous apprennent rien que vous puissiez réutiliser, si ce n’est votre cerveau. Un peu de bon sens suffit en général largement pour exercer un emploi de cadre dans un grand groupe. Se pose alors la question du renoncement à ses idéaux, la découverte d’un monde professionnel non pas tel qu’on nous le vend ou tel qu’on aimerait qu’il soit, mais tel qu’il est réellement : un énorme gâchis de potentiels humains et d’argent, d’autant plus honteux qu’il s’agit ici de l’argent de nos impôts.
En bref, un roman bien agréable pour remettre en perspective ce qu’on vit au travail, servi par une jolie plume. Mais peut être pas un roman mémorable car il en existe tant d’autres du genre sur la fonction publique…

Commentaires

Manu a dit…
Je suis quand même contente que tu mettes les choses au point concernant le secteur privé et public car ce genre de livre m'énerve au plus haut point. Surtout qu'elle a l'air de s'y plaire dans son boulot.
La chèvre grise a dit…
En tant qu'ancienne fonctionnaire et fille (et petite fille) de fonctionnaires, cela m'agace qu'on se permette de cracher dessus sans se regarder avant. Parce que ce n'est pas mieux ailleurs, comme souvent dans les jugements à l'emporte pièce ! Et effectivement, c'est une réflexion que je me suis faite régulièrement pendant ma lecture : si ce job est aussi peu gratifiant, pourquoi ne démissionne-t-elle pas ?
keisha a dit…
Un avis bien tranché, merci! je suis fonctionnaire (éducation nationale) et si cette dame veut postuler, qu'elle vienne, elle n'aura pas le temps de s'ennuyer... je me demande si on ne ferait pas mieux de supprimer des postes dans son secteur plutôt que dans l'éducation, le social et la santé, mais bon...Surtout que ça doit déjà être fait, j'espère!
choupynette a dit…
ce qui m'a le plus énervé dans cette histoire, c'est que l'auteure, après avoir été suspendue (ou je ne sais quoi) est retournée travailler au même endroit... et elle y reste!!
tu as raison de le souligner: c'est partout pareil, privé comme public, gâchis, piston, etc.
La chèvre grise a dit…
@ keisha : je l'ai été, et je te comprends. J'aimerais également qu'on arrête de cracher sur les profs, cible facile lorsque les parents défaillent. C'est un peu moins évident sur le social et le médical, mais vrai aussi. Ca fait froid dans le dos de voir qu'on brade l'avenir de nos enfants, ainsi que tout ce qui peut aider à se sentir mieux.
Ceci dit, j'ai vu des profs ne vraiment pas stresser alors qu'ils auraient du vu l'état de leur classe et de leur cours. Au final, tout est question de conscience professionnelle.

@ choupynette : je crois qu'elle n'a pas eu trop le choix en fait. J'ai cru comprendre qu'elle aurait préférer changer de poste, d'autant que tous ces collègues s'étaient reconnus. Et puis, ça ne doit pas être les quelques royalties de ce livre qui vont suffire à la nourrir. Et il faut une sacrée remise en question pour se lancer dans une toute autre carrière.
Alex Mot-à-Mots a dit…
Il en existe tant d'autres, en effet, de ces romans sur la fonction publique. Ce n'est pourtant pas pour autant qu'elle bouge...
bruns a dit…
Je l'ai pas encore lu, mais on a déjà évoqué de vive voix ce sujet, et je trouve ton analyse très juste, ....Privé-Public pas de différence pour moi, y a des planqués chez l'un comme chez l'autre....bizz
Davalian a dit…
PetiteFleur, je découvre ta critique grâce à Babelio et partage ton point de vue.

Je conseille à tous les postulants (oraux d'entrée) que je forme de lire les dix premières pages : elles sont criantes d'actualité. Lisez et vous saurez !

Le reste se révèle hautement décevant : un concentré de clichés. Il faut remarquer que plusieurs sont amusants même si le niveau ne vole pas très haut. L'auteure quant à elle est digne d'une énarque (moi je...).

Nous sommes a des années-lumières de la réflexion relative au devoir de réserve, dommage !
Pour l'actu : l'auteure a récemment (hier) vu sa condamnation confirmée (amende et exclusion temporaire). Elle a également écrit un autre ouvrage : Ta carrière est terminée que je vais bientôt lire...

Dans le même registre je conseillerai plutôt Messieurs les Ronds de Cuir de Georges Courteline ou en plus difficile Les employés de Balzac. Il s'agit de références bien plus stimulantes intellectuellement.

Bonnes lectures !

Posts les plus consultés de ce blog

La cité Abraxas

MAM Paris #10 : Le peignoir jaune de Tal-Coat

Musée du Quai Branly #4 : Amériques