Notre île sombre [Christopher Priest]

L'auteur : Né en juillet 1943, Christopher Priest est un écrivain anglais, ex expert-comptable, et président de la H.G Wells society.

L'histoire : Je suis sale. J'ai les cheveux desséchés, pleins de sel, des démangeaisons au cuir chevelu. J'ai les yeux bleus. Je suis grand. Je porte les vêtements que je portais il y a six mois et je pue. J'ai perdu mes lunettes et appris à vivre sans. Je ne fume pas, sauf si j'ai des cigarettes sous la main. Je me saoule une fois par mois, quelque chose comme ça. La dernière fois que j'ai vu ma femme, je l'ai envoyée au diable mais j'ai fini par le regretter. J'adore ma fille, Sally.

Je m'appelle Alan Whitman... Et je survis dans une Angleterre en ruine, envahie par des populations africaines obligées de fuir leur continent inhabitable.

Mon avis : Des millions de réfugiés africains échouent sur les côtes britanniques. Poussés à l’exode par la famine et les guerres en tout genre, notamment nucléaires, ils délaissent totalement l’Afrique. L’arrivée massive de cette population va provoquer une crise politique, augmenter le chômage et générer des tensions entre les différents protagonistes, le tout menant directement à une guerre civile entre Nationalistes qui veulent expulser les immigrés et Sécessionnistes qui souhaitent aider ces populations. Cette situation est racontée par Alan Whitman, personnage tout à fait ordinaire, qui va voir sa vie complètement chamboulée.

Le roman nécessite un minimum de concentration à la lecture car la structure narrative est faite de trois temps qui s’entremêlent : les premiers émois d’Alan jusqu’à son mariage avec Isobel et la naissance de leur fille Sally, les prémices de la crise, les errances présentes. Cela génère, au début de la lecture, un flou temporel qu’il faut que le lecteur éclaircisse pour reconstruire la chronologie des événements. En même temps, cela permet de faire ressentir au lecteur ce sentiment déstabilisant qui doit être celui d’Alan, perdant tous ses repères : plus de maison, de travail, de famille, d’amis. Les liens sociaux se délitent. A chaque rencontre d’un autre groupe, on ne sait pas à quel camp ils appartiennent.

En avant-propos, Christopher Priest justifie la réécriture de son roman (précédemment publié en France sous le titre Le rat blanc) par deux raisons. D’abord, alors que son personnage principal Alan est volontairement neutre d’un point de vue politique, les critiques de l’époque ne manquèrent pas pour autant de le taxer de pro-travailliste, pro-conservateur ou même raciste. Il reprend donc son récit et l’expurge de tout ce qui pourrait prêter à confusion sur la neutralité d’Alan. Ensuite, l’auteur annonce avoir retravaillé l’humanité de ses personnages, qui expriment davantage doutes et confusions.

Alan n’est pas un héros. Lui-même donne tous les éléments pour être qualifié d’infidèle, de lâche, d’indécis. Et justement, cette neutralité d’Alan m’a pas mal agacé. Il refuse d’agir, dans un sens ou dans l’autre, de prendre une décision et d’en assumer les conséquences. Il exprime beaucoup ses sentiments, voire trop à mon goût. En même temps, je comprends bien l’intérêt de faire porter au personnage principal la caractéristique majeure de toute l’humanité : à ne rien faire, à ne rien changer, elle court droit à la catastrophe largement annoncée !

Notons également que s’il y a réécriture, il n’y a pas pour autant modernisation du récit. Ce roman écrit dans les années 70 et décrivant un futur en pleine guerre civile, reste largement daté. Pas d’internet ou de téléphone portable. J’ai donc souri en lisant le passage où Alan se renseigne auprès du Central dans une cabine téléphonique. D’ici quelques années, la jeune génération ne saura même pas ce que c’est !

Merci aux éditions Denoël pour ce roman.

Notre île sombre, de Christopher Priest
traduit par Michelle Charrier
Denoël
juin 2014

Commentaires

Alex Mot-à-Mots a dit…
Une cabine téléphonique ? Mais c'est quoi ? ;-)
La chèvre grise a dit…
Oui, je sais, aujourd'hui aussi, des fois, on peut se poser cette question :-)
Loesha a dit…
C'est pas un urinoir ?
Plus sérieusement, je le sentais pas celui pour le partenariat... je ne sais pas trop pourquoi d'ailleurs. Peut-être le fait de savoir qu'il avait été réécrit, pour moi ça signifie une corruption de l’œuvre original et de ce qu'était l'auteur à l'époque. Mais je suis un peu une puriste pour ça...
La chèvre grise a dit…
Rhooo les filles, vous abusez, c'est quand même pas si vieux que ça :-)

Le fait qu'il ait été réécrit ne me gêne pas. Beaucoup d'oeuvres, notamment classiques, sont rééditées et traduites tellement de fois que tu ne sais pas qu'elle est la "bonne" version (je pense spontanément aux œuvres des sœurs Brontë, par exemple). Quand en plus, à ces rééditions multiples, tu ajoutes le problème de la traduction, bah tu t'éloignes pas mal de l'original.
En plus, ici, Priest explique bien en avant propos pourquoi il a réécrit ce roman.
Gaby a dit…
J'espère que ma bibliothèque se le procurera car le contenu me fait très envie. Concernant la couverture, cela me fait penser au 6e/7e continent, et me laissait penser que le livre aborderait la thématique de l'écologie. Est-ce le cas?
(ps : J'ai ajouté ton avis dans la liste du groupe Fb, je t'enverrai les listes en fin de mois!)
La chèvre grise a dit…
@ Gaby : pas du tout ! la thématique n'est pas abordée. Seule la question des populations africaines (pourquoi émigrent-elles massivement) est juste effleurée, mais ce n'est pas le propos du roman.

Merci pour la liste !

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