Mikado d'enfance [Gilles Rozier]

L'auteur : Né en mars 1963, Gilles Rozier est un écrivain et traducteur français, spécialiste de la culture yiddish. Il est également éditeur puisqu'il a fondé en 2015 avec Anne-Sophie Dreyfus les éditions de l'Antilope, première maison d'éditions spécialisée dans la littérature juive.

L'histoire : Quarante ans après les faits, le narrateur revient sur un épisode de son enfance : l'exclusion de son collège pour avoir adressé, avec deux camarades, une lettre antisémite à leur professeur d'anglais. Quelques années plus tard, il deviendra spécialiste de culture juive. Que s'est-il passé entre ces deux moments de son histoire ?

Mon avis : Avec ce roman, l’auteur nous offre une plongée dans sa jeunesse, à la rencontre d’un événement qui a fait de lui ce qu’il est aujourd’hui, qui l’a construit et lui a permis de rencontrer ce grand-père, disparu, assassiné dans le camp d’Auschwitz. Cet événement va mettre l’enfant qu’il est face à une dichotomie : moitié juif moitié goy, ni vraiment totalement l’un ni vraiment totalement l’autre, mais pourtant tout à la fois. Il en ressortira une individualité unique, la sienne

Gilles Rozier fait preuve d’une grande sensibilité aux mots et à l’importance qu’ils ont, d’autant plus importante d’abord parce que dans les années 1970, beaucoup d’euphémismes étaient utilisés, atténuant une réalité atroce. Importante également, car, alors qu’aujourd’hui on peut enfin affirmer haut et fort la réalité, notre société est bien trop oublieuse du poids que les mots peuvent avoir (on est bien trop prompt à jeter des injures au visage des gens pour s’excuser ensuite d’un piètre « non mais ce n’est pas ce que je voulais dire »). La nécessité de la parole des rares témoins encore en vie n’en est évidemment que plus grande.

C’est aussi un roman sur la tolérance, l’acceptation de l’autre, le non-jugement. Chacun fait avec les éléments dont il dispose, son vécu, les non-dits des parents. Et cela n’offre qu’une vision forcément parcellaire de la vérité, elle-même ne pouvant être que multiple. La solution passe alors par l’ouverture au monde et à l’extérieur, la curiosité intellectuelle, afin de construire un monde qui puisse se tenir.

Un beau roman sensible sans sensiblerie, comme on aimerait en lire plus souvent.

"J'avais plus de quarante ans, mais je ne l'avais pas attendu pour me mettre en route : vingt ans auparavant, j'avais suivi son étoile, mon étoile, et j'avais mis sa langue dans ma bouche." (p°180)

Mikado d'enfance, de Gilles Rozier
Éditions de l'Antilope
Mai 2019

Commentaires

Alex Mot-à-Mots a dit…
Pour la sensibilité dont tu parles.

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