Rhapsodie des oubliés [Sofia Aouine]

L'auteur : Née en 1978, Sofia Aouine est journaliste radio et documentariste. Elle livre ici son premier roman qui a reçu le Prix de Flore 2019.

L'histoire : Abad, treize ans, vit dans le quartier de Barbès, la Goutte d'Or, Paris XVIIIe. C'est l'âge des possibles : la sève coule, le cœur est plein de ronces, l'amour et le sexe torturent la tête. Pour arracher ses désirs au destin, Abad devra briser les règles. À la manière d'un Antoine Doinel, qui veut réaliser ses 400 coups à lui.

Mon avis : Ce qui frappe dès les premières pages, c’est la langue employée, à la fois crue et vraiment poétique, qui se forme par la rudesse et la franchise des sentiments d’un enfant mélangées au regard distancié d’un adulte. Avec cette langue, l’auteur happe totalement son lecteur. Car rien n’échappe à Abad, un peu tête à claques mais bigrement attachant. Il nous conte son quartier de Barbès, sa rue qui « raconte l’histoire du monde avec une odeur de poubelles ». Rien ne lui échappe. Il éprouve pour son monde un réel attachement qui ne s’exempt pas d’une forme de dégoût. Avec vivacité, humour et une envie de vivre chevillée au corps, sans pathos, il raconte son quotidien avec ses copains, à l’école, à la maison ou chez les différents adultes qu’il rencontre : Odette, Gervaise, Ethel…

Ce qu’il raconte, c’est aussi le destin d’immigrés, massivement appelés en France pour remplir les boulots dont les Français ne veulent pas, et pourtant méprisés et déconsidérés, laissés à l’abandon et à la pauvreté par la République. Un terreau fertile pour les islamistes ou les trafiquants en tout genre. Où demeurent quelques personnes âgées montées de leur province à la capitale il y a plusieurs décennies. Tout ce monde forme un melting-pot haut en couleurs qui rappelle que dans ces quartiers qu’on a trop souvent tendance à oublier se trouvent des êtres humains qui ont des blessures et des rêves au même titre que tout un chacun.

Un beau premier roman, fort, à ne pas manquer.


"J'aime bien les valises. Les valises, c'est toujours des souvenirs de vie. Il y a celles qui ont trop vécu et celles qui vivront demain à vos côtés. Celles avec lesquelles on part, on reste, ou on ne revient jamais. On les bourre, on les transporte, on fait pas attention, on les sort que pour partir en vacances, alors qu'elles, elles ont tout vu de nous : les joies, les malheurs. On ne les calcule plus, on oublie jusqu'à leur existence. Et parfois, on les remplit de vieux souvenirs de ceux qui sont morts. On les cache pour pas être tristes et elles finissent par pourrir dans un coin de la maison, parce que c'est trop dur de les regarder. Mais elles, elles continuent de nous regarder vivre et quand on finit par mourir, elles nous survivent. Mes parents aussi en ont transporté,des bagages. On n'est pas si différents, avec la dame d'ouvrir dedans, au fond. C'est l'histoire de ce pays : on a presque tous, d'où que l'on vienne, d'où qu'on parle, peu importe notre Dieu, une histoire de valises à vivre et à raconter." (p°122)

Rhapsodie des oubliés, de Sofia Aouine
Éditions de la Martinière
Août 2019

Commentaires

Alex Mot-à-Mots a dit…
Un style cru et poétique ? Me voilà intriguée.

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