La zone d'intérêt, de Jonathan Glazer

Film américano-britanico-polonais de Jonathan Glazer, sorti le 31 janvier 2024, avec Christian Friedel et Sandra Hüller.

L'histoire : Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.

Mon avis : Grand prix 2023 du Festival de Cannes, ce film est bancal. Forcément, le sujet est sensible et on connait la polémique sur l'impossibilité de montrer la Shoah dans une œuvre de fiction et plus précisément au cinéma. Comment esthétiser un film sans tomber dans ce piège ? 

Jonathan Glazer choisit habilement, même si c'est un procédé qui n'est pas original, de ne rien montrer du camps d'Auschwitz. Tout au plus en verrons-nous un mur, une porte d'entrée attenante au domicile du commandant, les cheminées au loin. Par contre, la bande son est là, l'élément le plus marquant. On entend ce qui se passe dans le camp : des cris, des pleurs, des coups de feu, un train qui arrive en gare... Un bruit de fond permanent qui fait comprendre l'œuvre de mort qui se joue. C'est impressionnant parce que c'est par là que tout se passe, que le spectateur ressent profondément le malaise. C'est dérangeant au possible. Et c'est d'autant plus fort que le film ne comporte aucune musique, si on met de côté les longs sons des génériques de fin et de début, sur un fond d'écran noir. Des sons synthétiques et crispants qui vous mettent directement dans l'ambiance.

Pendant que des millions d'êtres humains sont massacrés à quelques encablures, la famille Höss vit en famille dans ce qu'ils appellent leur petit coin de paradis. Le tragique, perceptible uniquement par le spectateur, arrive par toutes petites touches : un enfant qui joue avec des dents en or, un vêtement de fourrure dans lequel on retrouve des effets personnels de sa précédente propriétaire... Comme des pièces discordantes qui font comprendre que non seulement Hedwig sait ce qu'il se passe mais qu'elle s'enorgueillit d'en profiter. Des moments malaisants au possible qui donnent à percevoir l'innommable qui se déroule à côté et l'ignominie de ces êtres qui s'en réjouissent et y participent activement.

Là où le film est bancal, c'est dans la scénographie. Tant qu'on reste à Auschwitz, tout se tient. Uniquement des plans larges, aucun gros plan pour ne pas tomber dans une émotion artificielle. Quelques scènes sont filmées avec une grande minutie, comme lorsque la servante, limite une esclave tant pèse sur elle la menace permanente de la bonne volonté des Höss, prépare un verre de schnapps pour monsieur ; ou encore quand le père de famille fait le tour de la maison pour tout éteindre et verrouillé. À l'inverse, et c'est d'autant plus incompréhensibles, d'autres scènes sont totalement superflues : les ablutions après l'adultère, la dispute conjugale...

Et surtout, dès que Glazer sort de son huis clos initial en suivant Höss à Orianenburg, alors qu'il est muté, plus rien ne fonctionne et on tombe dans le piège de la sensiblerie. La scène finale est d'ailleurs très mauvaise à mon goût, lorsque les plans montrant le commandant, qui retrouve sa nomination à la tête du camp, descend les escaliers du bâtiment à Orianenburg et s'arrête, comme poursuivit par les images d'un autre temps, l'époque actuelle, où des femmes de ménage nettoient le musée d'Auschwitz et les vitrines montrant les objets ayant appartenus à toutes les personnes exterminées : chaussures, vêtements, casseroles...

Ce film laisse un goût amer à qui connait le drame de la Shoah, un goût de raté. Et il n'aidera pas ceux qui connaissent mal ce sujet à mieux l'appréhender. Un film doit-il forcément être pédagogique ? Non. Mais quand on choisit un tel sujet, on sait que cet aspect va forcément peser dans la balance.

Commentaires

Alex Mot-à-Mots a dit…
Je vais le voir ce soir, j'espère ne pas être trop déçue.
keisha a dit…
Incroyable, il passe dans ma petite ville, avec un intervenant!

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