Exposition : Artemisia, héroïne de l'art



Artemisia Gentileschi. Ce nom ne vous dit peut être rien. Pourtant il s'agit d'une des peintres les plus talentueuses de son temps. Bien au-delà du scandale dont elle fut la victime dans son jeune âge, formée par son père Orazio Gentileschi, Artemisia est une jeune femme affirmée, audacieuse, féministe avant l'heure et surtout talentueuse. Une sorte d'OVNI dans cette période où peu de femmes pouvaient exister par elle-même, se targuer du titre de chef de famille voire concurrencer les hommes dans le métier de peintre.

Esther et Assuérus, d'Artemisia Gentileschi, vers 1628

Esther et Assuérus, d'Artemisia Gentileschi, détail

Née en 1593 à Rome, Artemisia connaît une renommée internationale importante, auprès des grandes cours européennes notamment. À l'instar de son père Orazio Gentileschi, elle reçoit de prestigieuses commandes de la part de puissant mécènes, tels que Cosme II de Médicis, le duc de Bavière ou Philippe IV d'Espagne. Après un passage à la cour de France où il participe à la décoration du palais du Luxembourg, Orazio est nommé en 1626 peintre du roi Charles Ier d'Angleterre. Les deux artistes ne se retrouveront qu'en 1638 à Londres.

Vierge de l'Annonciation, d'Artemisia Gentileschi, vers 1609-1610

Artemisia se forme dans l'atelier de son père, peintre d'histoire renommé. Comme tout apprenti, elle commence en copiant les oeuvres du maître, élaborant des compositions d'après ses dessins et bénéficiant de ses corrections. Mais si le père reconnait rapidement le talent de sa fille, et l'encourage, Artemisia reste confinée au foyer familial, se voyant refuser l'accès aux académies d'art. Pourtant elle progresse rapidement, peint des portraits et de petits tableaux dévotionnels, comme cette Vierge à l'Annonciation.

Danaé, d'Artemisia Gentileschi -1612

Judith et sa servante, d'Artemisia Gentileschi - 1615

Le lien entre Artemisia et les héroïnes féminines qu'elle représente devient d'autant plus marquant au regard des épreuves personnelles qui jalonnent sa vie. En 1611, elle est victime d'un viol de la part d'un peintre ami et collaborateur de son père. La promesse d'un mariage la persuade de consentir à une relation pendant près d'un an. Puis son père intente finalement un procès au cours duquel elle est torturée pour éprouver la véracité de ses accusations. L'accusé sera finalement condamné mais, protégé par le pape, il ne purgera pas grand chose. Artemisia se marie alors avec Pierantonio Stiattesi et s'installe à Florence et entame une nouvelle phase dans sa carrière. Judith et sa servante en est l'illustration parfaite : on sent l'inspiration de son père, mais la tension entre les personnages,  leur complicité et ses propres traits qu'elle prête à Judith montre son indépendance. Beaucoup de ses personnages féminins portent ses traits, peut être parce que son statut de femme ne lui donner pas d'accès à des modèles, contrairement aux hommes peintres. 

Autoportrait en joueuse de luth, d'Artemisia Gentileschi - 1615

Tête d'héroïne, d'Artemisia Gentileschi - 1620

Judith et sa servante avec la tête d'Holopherne, d'Artemisia Gentileschi - 1623-1625

Les rares femmes peintres de l'époque étaient cantonnées aux genres du portrait et de la nature morte. Et si Artemisia ambitionne et montrera bien plus, elle excelle dans ce genre et son talent est reconnu par ses contemporains. Son rendu de la personnalité de son modèle, les détails des costumes, le travail de la lumière... De retour à Rome en 1620, motivé par son endettement et des rumeurs de liaison avec Maringhi, ses portraits lui permettent d'établir des relations avec des clients fortunés à même de lui confier par la suite d'importantes commandes. Comme cette Judith et sa servante avec la tête d'Holopherne. Sa capacité à se représenter elle-même dans différents personnages fascinent aussi ses clients qui lui commandent souvent des autoportraits. Cet Autoportrait en joueuse de luth, commandé par le grand-duc de Toscane, en est un exemple. Ce qui explique également qu'on retrouve ses traits même dans les tableaux peints bien après ses oeuvres de jeunesse.

Portrait d'Artemisia Gentileschi en homme à moustache, de Leonaert Bramer - 1620

Intégrée dans le milieu des peintres caravagesques, composé en grande partie d'étrangers, fréquentant des cercles littéraires, Artemisia est célébrée pour son talent et son savoir. Leonaert Bramer, dessinateur néerlandais, dessine des portraits montrant les liens d'amitié entre ces artistes. Elle y figure déguisée en homme moustachu, tenant une pomme d'amour ou un hochet, dans une ironie dont Bramer fait preuve pour tous les membres du groupe. Dans la sphère personnelle également, elle obtient un statut exceptionnel : elle est reconnue comme responsable de son propre foyer, composé de sa fille Prudenzia et des ses domestiques, quand elle se sépare de son mari. 

Vénus endormie, d'Artemisia Gentileschi - 1626

Madeleine pénitente, d'Artemisia Gentileschi - 1625

Saint-Jean Baptiste dans le désert, d'Artemisia Gentileschi - 1630

Est-ce parce qu'elle est si douée dans le portrait et dans la représentation d'héroïnes bibliques qu'elle ne se voit pas confier les grandes fresques auxquelles elle aspire ? De fait, les commandes n'affluent pas autant qu'espéré à Rome et elle se déplace à Venise, où elle peint sa Vénus endormie. Puis elle déménage à Naples en 1630, y espérant plus de commandes, et y dirige son propre atelier. Elle peint cette Marie-Madeleine pénitente. Elle est aussi particulièrement appréciée pour ses figures isolées sur fond sombre, à la manière caravagesque justement, comme ce Saint Jean-Baptiste dans le désert, et peut enfin peindre pour une cathédrale.

Que ce soit pour aider son père devenu peintre à la cour de Charles Ier ou parce que le souverain, grand amateur d'art, apprécie son travail, elle se trouve à Londres en 1638 et collabore avec Orazio Gentileschi.  Ensuite, on perd un peu sa trace. On ne sait pas exactement quand elle quittera l'Angleterre, mais on la retrouve à Naples en 1649 d'où elle écrit à un mécène et témoigne de sa pleine activité ; on lui attribue d'ailleurs sa fameuse toile Suzanne et les vieillards, visible (mais non photographiable) dans l'exposition. On suppose qu'elle est morte dans l'épidémie de peste qui a frappé Naples en 1656.

Une belle exposition, qui me donne très envie de sortir de ma PAL le roman Artemisia d'Alexandra Lapierre pour creuser un peu plus le sujet de cette artiste talentueuse, qui vécut d'abord à l'ombre de son père avant de devenir une artiste indépendante de l'Italie baroque.


Informations utiles :

Du 19 mars au 03 août 2025 
Ouvert tous les jours de 10h à 18h, nocturnes les lundis et samedis jusqu'à 20h30

Musée Jacquemart-André
158 Boulevard Haussmann
75008 Paris
Tel : 01 45 62 11 59

Tarif : 18€ (accès exposition et musée)
Audioguide : 3€

Site du musée Jacquemart-André : ici

Commentaires

  1. Il est prévu que j'y aille , j'ai déjà vu de ses tableaux ici ou là lors de visites ailleurs, mais j'irai 'à l'arrache', la dernière fois à cause d'un retard SNCF (2 h 30!) à j'ai perdu le billet réservé... Le livre m'attire aussi, tant qu'à faire. ^_^

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    1. C'est un peu le problème des expositions très prisées comme ça qui t'oblige à réserver longtemps à l'avance. Tant que je peux, j'attends d'être sur Paris le matin pour faire la réservation le jour même (en général, je fais les visites sur ma pause de midi). Mais ce n'est pas toujours possible, comme pour Hockney dont je vous parle très bientôt.

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