86, année blanche [Lucile Bordes]

L'auteur : Née en 1971, Lucile Bordes enseigne la linguistique et la stylistique à l'université de Toulon. 86, année blanche est son troisième roman.

L'histoire : Au printemps 1986, le monde découvre Tchernobyl. Sous le nuage radioactif qui traverse l’Europe, trois femmes se racontent. Lucie, dans le sud de la France, se demande s’il va passer la frontière et bouleverser sa vie d’adolescente. Ludmila, dans la ville ultramoderne qui jouxte la centrale, veut croire que tout est sous contrôle dans l’invincible URSS. Ioulia, à Kiev, rêve d’indépendance et de son jeune amant français. Un moment crucial pour chacune d’entre elles, un moment crucial de notre Histoire.

Mon avis : Prypiat, ville ultra moderne, emblème de l'Union soviétique, devient en avril 1986 une ville fantôme. La catastrophe de Tchernobyl a tout emporté. Lucile Bordes dessine trois personnages de femmes, trois vues différentes sur l'événement et ses suites. Différentes, mais aussi semblables dans l'immense inconnu qui se dresse devant elles. Le monde ne sera plus jamais le même, et il est difficile de l’appréhender à cause du manque d'informations, que ce soit celui de la censure soviétique ou la désinformation française évoquant un miraculeux nuage qui s'arrête aux frontières.

Pour la jeune Lucie, ce chamboulement est vécu de plus loin, mais il se mêle à celui que vit son père, qui voit les chantiers navals fermés définitivement leurs portes, après une longue lutte avec les syndicats. Là aussi, l'idéal communiste s'effondre.

L'auteur tisse le drame collectif de milliers d'histoires individuelles dans lesquelles l'avenir change brutalement du jour au lendemain. Comme un faible écho qui se fait de plus en plus puissant au fur et à mesure qu'on se rapproche de la zone interdite. Mais un écho qui parcourt toute l'Europe, qui brise des vies, qui créé des corps malformés et fait endurer des souffrances sans nom.

En filigrane, on se pose forcément la question du nucléaire français. Et on frissonne des drames potentiels dont la menace flotte au-dessus de nos têtes.

"On lit partout que le temps s'est arrêté à Prypiat. C'est faux. Les riches curieux qui arrivés sur place photographient les vestiges de l'époque soviétique se prennent pour des voyageurs venus du futur. Ils se trompent. Ce monde mort est le leur. Ce temps leur temps.

Prenez vos nuits pour imaginer : il existe un endroit sur terre où l'homme a rendu sa vie impossible. C'était il y a trente ans et c'est maintenant."

"Et ma voix était d'autant plus assurée qu'il fallait étouffer la rumeur intérieure, celle qui disait que nous tenions nos vies de l'atome et qu'il était peut-être normal que l'atome nous les demande en retour, un jour ou l'autre."

86, année blanche, de Lucile Bordes
Liana Levi pour Kindle
Mars 2016

Commentaires

c'era una volta a dit…
Qui n'a pas été marqué par cet accident dont quoi que certains en disent les répercussions ont été lourdes.
J'aime ton avis. Et ça me rend curieuse du contenu de ce roman, du regard de l'auteure sur cette période "trouble"...
J'espère que je pourrai le trouver!
Merci de nous l'avoir présenté :)

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