Dernière visite à ma mère [Marie-Sabine Roger]

Vous connaissez désormais mon attachement à l'autrice Marie-Sabine Roger. Je cherche désormais à découvrir ses ouvrages moins connus. Ma dernière lecture date d'un peu plus d'un an, avec Un simple viol. Cette fois-ci, c'est son dernier roman, ou plutôt son premier récit intime, Dernière visite à ma mère que j'ai découvert.

L'histoire : À 92 ans, quand sa mère entre en Ehpad, sa fille lui rend visite chaque mois.
Elle sait que l'irremplaçable va bientôt mourir.
C'est la dernière occasion pour elle de renouer les liens de leur histoire.
"Depuis quelques mois, je pense à t'écrire une lettre, une lettre de fille à mère. Une lettre avant la fin du jour."
Viennent alors les mots qu'elle n'a jamais osé prononcer.
Les mots d'amour d'une fille à sa mère.

Mon avis : Comme Les gratitudes de Delphine de Vigan,  il est question ici de la fin de vie en EHPAD, et de la déchirure pour les proches qui voient ce temps venir. Avec beaucoup de réalisme, Marie-Sabine Roger nous livre avec pudeur les derniers moments de sa mère, nonagénaire, qui se meurt dans ce lieu où rien n'est fait pour maintenir la vie, dans son essence même. Il ne s'agit que d'un mouroir dans lequel les corps sont maintenus aussi longtemps que possible, coute que coute et quel qu'en soit l'état, quitte à exercer des violences psychologiques indicibles. Pas particulièrement par défaillance humaine, mais parce que le système est comme ça.

C'est forcément le coeur serré que tout lecteur de plus de quarante ans se reconnaitra forcément dans ces situations décrites, ces sentiments étouffés, qui n'osent se dire. Les derniers instants d'un parent sont forcément dans l'ordre des choses, mais ils n'en restent pas moins difficiles à vivre lorsqu'ils durent, et durent encore, parce que le corps ne lâche pas alors que l'esprit est déjà si loin, que la personne connue et aimée est déjà partie. On a beau s'accrocher à la moindre lueur, la déchéance est là, toujours plus évidente jour après jour. Un inexorable déclin qui déchire l'accompagnant et amène souvent son lot de culpabilité.

Le style de Marie-Sabine Roger, souvent léger et doux dans ces romans, fait ici aussi merveille en se teintant de tristesse. Il dit le chagrin retenu, l'urgence à absorber le plus possible la moindre étincelle de vie chez sa mère avec laquelle elle avait une relation complexe. Un simple échange de regard devient alors un trésor à chérir. Le temps est compté et on aimerait tisser la relation qu'on n'a jamais vraiment eue, qu'on idéalise, réalisant pourtant que cette chance n'existe déjà plus. La plume de l'autrice fait ressentir pourtant une douce lumière au fond de ces ténèbres  que sont la fin de vie d'un proche : la lumière de la vie, la lumière de l'amour, même lorsqu'il n'est pas si évident que cela.

Un récit terriblement poignant !


"Je ne provoquerai jamais la mort délibérément." Et si la question n'était pas de provoquer la mort mais bel et bien de ne pas l'empêcher, lorsque tout ce qui est à venir sera forcément pire, sans aucune lueur d'espoir ? 
La vie est un bien précieux. C'est aussi un mal incurable. 
Personne n'en guérit jamais.

Quel que soit son visage, la mort de ceux que nous aimons nous saisit à la gorge. Pour beaucoup d'entre nous, c'est la violence ultime. 
Mais maintenir la vie sans préserver du même coup ce qui en faisait l'essence : la faculté de penser, d'agir, de se mouvoir, de s'exprimer, de jouir de petits et grands plaisirs, la liberté de faire connaître son avis, ses besoins, de refuser ou d'approuver, c'est une mort sans cesse reporté. Une indicible pénitence." (p°112)


Dernière visite à ma mère, de Marie-Sabine Roger
Éditions L'iconoclaste
Février 2021

Commentaires

  1. Ma belle-maman, 89 ans, a passé trois mois dans un EHPAD suite à un AVC. Heureusement, nous avons pu faire en sorte qu'elle rentre chez elle car je crois bien que la tristesse l'aurait achevée... Alors je crois que je n'ai pas envie de lire ce livre...

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  2. @Sandrine : oui, c'est un sujet difficile. Et la société n'est pas prête à faire les efforts nécessaires pour se saisir du sujet. En attendant, nos aînés souffrent.

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